Artist - ESTEBAN MOULIN

Esteban Moulin peint d’un trait unique, sans quitter le papier. Cette quête du geste parfait est nourrie de sa grande expérience de pilote d’avion. Il peint les figures de voltige qu’il connait si bien et qui l’inspirent jusque dans sa peinture. « Je suis né aérien », dit cet artiste qui a appris à piloter enfant avec son père. Et clairement ses peintures sont aériennes, merveilleuses propositions formelles, volutes puissantes et délicates. Les transparences, les courbes et circonvolutions de son pinceau sont un régal. On y voit la recherche d’un équilibre dans le déséquilibre, la mise en œuvre d’une énergie longuement étudiée et centrée. Un formidable travail. Pointons aussi ses petits formats à l’aluminium, créant des transparences irisées infiniment subtiles.
Texte de Muriel de Crayencour
Art works
Biography

ESTEBAN MOULIN, UNLIMITED 

23.03 > 15.04.2018

Dans ma peinture, l’espace non peint, c’est le plein. C’est le monde visible. Dans ma peinture, l’espace peint, c’est le vide. C’est le monde invisible. Je joue avec le visible et l’invisible. 

Le fond de ma peinture, c’est le concept du ciel. Mon ciel est visible. Il est rempli et je vais le vider avec ma trace. Pour les yeux humains, la trace d’un avion de voltige est invisible et je vais la rendre visible à travers la calligraphie. En tant que calligraphe je cherche et je montre le côté véritable, pur, objectif et artistique de cette trace que l’avion va écrire. 

Ma calligraphie n’est pas immédiate, il y a une méditation intérieure. Ma calligraphie n’est pas aléatoire. Elle est le résultat d’une succession linéaire très précise. Je sais où je vais commencer et où je vais terminer. Avant de réaliser mon premier trait de pinceau, la création a déjà commencé car j’ai étudié et assimilé l’essence du monde de la voltige aérienne. Ce premier trait de pinceau pour Shitao , c’est la trace unique. Quand je vais attaquer la surface de mon papier, tout est dit. Je peux regarder l’oeuvre complète alors que je ne l’ai pas encore commencée, mais mon pinceau a déjà absorbé mon exploration du mystère des choses. Dans ce travail, je capture tout ce qui compose la voltige aérienne. La réceptivité est la capacité naturelle pour l’homme de capturer l’essence des choses. Elle précède la connaissance. 

Avant de commencer une calligraphie, je vais charger mon poignet de la même façon que Shitao va charger son poignet avec toute la réceptivité qu’il va prendre de la nature. Cette charge doit durer pendant tout le processus créatif. Cette réceptivité va se métamorphoser en moi et elle va se prolonger à travers mon pinceau. 

Comme calligraphe, j’écris avec un pinceau. Mon pinceau doit être large avec des poils souples. Il doit absorber la quantité nécessaire d’encre pour que je puisse réaliser un programme complet de voltige, en un seul trait. J’utiliserai mon pinceau dans le sens de la largeur pour arrondir les courbes des figures réalisées par les pilotes, pour reproduire leur lenteur ou pour sentir l’énergie du symbole qu’ils interprètent. Avec son côté étroit, je réaliserai la rapidité et la profondeur du box, ce kilomètre cube que les pilotes ne peuvent dépasser pendant l’exécution d’un programme de voltige. 

Le trait de pinceau est en même temps forme et nuance, volume et rythme. Il représente également mes pulsations profondes. Selon la trame de l’histoire que je vais raconter, je réfléchis au pinceau, à l’encre et au support que je vais utiliser. J’adore le papier pour son côté pénétrant. J’adore la vitre pour sa translucidité. J’adore le plexi pour sa flexibilité. J’adore la fresque pour sa vision monumentale. J’adore la toile, pour le grain qu’elle dégage. 

Il y a une grammaire dans ma calligraphie, comme dans la voltige aérienne. Pour écrire une histoire, je suis comme le pilote qui utilise cet alphabet très particulier de figures, ce langage très codifié repris dans un dictionnaire : le catalogue Aresti. Un programme est composé d’une combinaison d’une dizaine à une vingtaine de figures. Les différents enchaînements de symboles donnent le caractère propre du rythme, du souffle et de l’énergie du vol. Quand je calligraphie, j’exécute cette chorégraphie précise. Je suis un écrivain du ciel. Je suis un écrivain des pilotes.

L’idée d’entamer ce parcours calligraphique m’est venue il y a une dizaine d’années. Je ne sais plus exactement le jour, mais j’étais juge pour une compétition. J’étais assis. Dans les mains, j’avais un programme de voltige avec tous ces symboles les uns derrière les autres. Un tonneau, une remontée verticale, un déclenché positif... Comment pouvais-je réaliser cela en peinture ? 

« L’unique trait de pinceau » de Shitao c’est lui, Citrouille-amère , qui allait m’aider à raconter cette nouvelle histoire, l’histoire d’un programme de voltige. J’allais apprendre la calligraphie, ses techniques, et j’allais les associer à celles travaillées au cours de mes précédentes recherches picturales. 

Le début de ce travail est également lié à mon expérience de pilote et à ce souvenir d’adolescence où mon père pilote me demandait de dessiner son vol sur une vitre. Tous ces éléments m’ont permis d’accéder à cette nouvelle étape de mon travail artistique.

« Fou moi-même, fou mon langage et folle ma peinture. Je cherche cependant à trouver la voie pour atteindre la vraie folie » Ku K’ai-Chih 

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1 Source Wikipédia : « Shitao, également surnommé Moine Citrouille-amère (…) est un artiste peintre chinois de la dynastie Qing. (…) Il fut aussi calligraphe et poète, paysagiste ». 

2 Surnom de Shitao